Zoom sur Albrecht Sonntag, sociologue et professeur en études européennes : Le sport comme vecteur d’intégration

Posted on | 2 Comments

À l’approche de l’Euro de football qui aura lieu du 11 juin au 11 juillet, nous avons souhaité donner la parole à Albrecht Sonntag, sociologue et professeur en études européennes qui a consacré une grande partie de son travail de chercheur à l’étude du sport, et particulièrement du football, comme vecteur d’intégration sociale.

 

Albrecht, pouvez-vous vous présenter ? 

 

Je m’appelle Albrecht Sonntag, j’ai 59 ans, je suis d’origine allemande et vis en France depuis 30 ans. Je suis docteur en sociologie et professeur en études européennes à l’ESSCA Ecole de management.

Lorsque j’ai démarré la recherche académique il y a quelques années déjà, j’ai souhaité écrire ma thèse sur un sujet qui me passionnait et me passionne toujours : la question de la puissance émotionnelle du football.

 

J’ai construit ma carrière de chercheur et bâti mon réseau professionnel sur ce sujet car j’ai toujours été intrigué par la capacité de ce sport à rester un îlot dans lequel se rencontrent les différents groupes sociaux. C’est un jeu qui transcende aussi bien les différentes barrières sociales, que linguistiques ou culturelles… Il génère en nous un sentiment d’appartenance à une communauté et j’avais envie de comprendre comment dans une société ce sport pouvait être un facteur de cohésion.

Au fil du temps, j’ai un peu ouvert mes champs de recherches notamment vers l’idée d’une diplomatie sportive européenne, et sur les valeurs que le football projette vers le monde extérieur. C’est un sport qui permet aussi d’agir sur la société, par exemple à travers l’inclusion des migrants et c’est intéressant de voir comment la société arrive à utiliser ce vecteur.

 

Pourquoi avoir choisi le football plutôt qu’un autre sport ?

 

Le sport de manière générale est un vecteur de socialisation et d’inclusion. Mais j’ai focalisé mon attention sur le football car c’est souvent cette discipline qui domine le paysage sportif. C’est un trendsetter (avant-gardiste) qui reste le sport le plus accessible dans sa compréhension des règles. Il reste aussi le plus accessible économiquement et de fait est plus inclusif que l’équitation par exemple. On peut jouer au foot même dans la rue car il suffit simplement d’avoir un ballon, cela permet de briser toutes les barrières sociales.

 

Mais le sport en général est un vecteur d’inclusion car il est pratiqué au sein de petites communautés (club de sport) et porte donc des valeurs communes, associatives de partage et d’échange par défaut. Les clubs de sport ont cette vocation de rassembler les gens et sont ouverts à tous.

 

Le football représente une société méritocratique et enseigne des valeurs telles que l’effort collectif, l’investissement personnel, la solidarité, le respect des règles et des autres… Il joue un rôle primordial dans la socialisation. Le club de sport est l’endroit où les chemins de vies se croisent qu’on soit scolarisé ou non, avec ou sans emploi… On prend alors finalement conscience qu’on se ressemble.

Le football est également un domaine de rencontres, notamment au travers des stades qui sont des lieux de passage important. Avec la pandémie, ça a été très dur pour certains de se passer des rituels liés à ces endroits.

 

Le sport peut-il être un moyen d’inclusion sociale au niveau européen ?

 

Dans une perspective européenne, le sport a été un élément important dès le début des premiers jumelages, notamment dans la construction de l’amitié franco-allemande. C’est une activité profondément humaine, qui transcende les barrières linguistiques et humaines, et qui permet de faire se rencontrer des peuples, même quand ils sortent d’un conflit.

 

Ce n’est pas le rôle du sport de susciter, créer ou faire émerger une identité européenne. Cependant le football est définitivement un pratique sociale partagée, commune à tous les Etats-membres. Dans les 27, on se passionne pour ce sport, et au travers de sa pratique, on s’intéresse aux autres et à ce qu’ils font. Il permet la compréhension mutuelle y compris dans la compétition. Le sport c’est d’abord un fabriquant d’empathie, tout le monde sait ce que c’est de gagner et de perdre, et on se réjouit des victoires comme on s’attriste des défaites. Il y a une vraie communauté européenne de football.

 

À titre plus personnel, mon Europe à moi, c’est de regarder des résultats sportifs dans toutes les ligues européennes, car j’ai des amis partout dont je sais qu’ils qui tiennent aux résultats de leurs équipes de cœur. Je suis avec attention leurs classements, et ils suivent avec attention ceux de l’équipe que je supporte. Cela peut faire sourire, mais ce sont des liens précieux qu’il faut cultiver.

L’Union européenne s’intéresse à ces questions, mais de manière prudente car elle souhaite laisser toute leur autonomie aux fédérations sportives. Elle n’interfère pas trop avec le monde sportif et c’est seulement dans le Traité de Lisbonne que la notion de sport a fait son apparition. Il l’institue comme étant un domaine où les Etats membres demeurent totalement compétents et indépendants, mais où l’UE peut mener des actions d’appui ou de coordination.

 

Plutôt de copier la politique sportive des nations, la Commission préfère ainsi aider dans le financement de projets de taille modeste, en encourageant les initiatives de la société civile. C’est ce qu’elle fait notamment dans le cadre du programme Erasmus Plus qui permet des activités transnationales, et c’est ce qu’elle fait de mieux.

 

L’apport quotidien du sport à la manière de vivre européenne (du local jusqu’au transnational) est de toute façon plus fort et durable que ne pourrait l’être toute politique institutionnelle.

 

Pouvez-vous nous parler de votre travail avec Alliance Europa, membre de la Maison de l’Europe – Europa Nantes ?

 

J’ai été partie prenante d’Alliance Europa dès sa conception : membre du comité de pilotage, du comité stratégique et des commissions d’innovation et de recherche. Et ce réseau régional m’a permis de nouer de nouveaux contacts précieux.

 

Je vous donne un exemple : Nous avons organisé en octobre 2017, une journée à Nantes, avec Alliance Europa et le think-tank Sport & Citoyenneté, dont les objectifs étaient de réfléchir et analyser le rôle du sport dans l’accueil et l’intégration des populations migrantes et réfugiées sur le plan local en Europe. Cette journée était destinée au mouvement sportif, au secteur associatif, aux collectivités territoriales et institutions ainsi qu’au monde académique.

 

Sur la base de cet événement, nous avons conçu le projet FIRE (« Football Including REfugees ») qui vise à promouvoir l’inclusion, la participation, la socialisation et l’accès au sport des demandeurs d’asile, des migrants et des réfugiés. Il s’agit de promouvoir l’ouverture interculturelle dans les clubs de sport et les organismes sportifs, et de rendre possible la coopération avec les réfugiés et les demandeurs d’asile pour les organisations sportives. Ce projet, porté par Sport et Citoyenneté, l’ESSCA et une brochette de partenaires de la société civile dans plusieurs pays européens, a été sélectionné dans le cadre du programme Erasmus+ “Collaborative Partnerships in the field of Sport” pour une durée de 2 ans.

 

Voilà, nous avons tous intérêt à nous connaitre au-delà de nos silos d’expertise académique. En cela, Alliance Europa est un réseau très utile, initiateur d’idées et d’opportunités. Je suis très heureux d’en faire partie, car il permet de mettre en synergie les acteurs.

 

Pour terminer, quel est votre pronostic pour l’Euro ?

 

Le football est le jeu d’équipe où il y a le plus d’incertitudes. Cela tient à la rareté des buts : lorsqu’un but est marqué, il a un impact presque disproportionné sur l’issue du match, et souvent, Goliath se fait battre par David. L’Euro est historiquement une compétition ouverte avec son lot de surprises. N’oublions pas par exemple qu’en ce moment c’est le Portugal qui détient le trophée et c’était assez inattendu.

 

C’est difficile de donner un pronostic précis mais je pense que les favoris habituels ont leurs chances : la France, l’Espagne, mais aussi l’Allemagne dont l’équipe me semble assez sous-estimée. À titre personnel, je serai franchement ravi que la Belgique l’emporte. Ils ont une génération en or, et c’est peut-être leur année, comme cela a été le cas avec le Danemark en 1992 ou la Grèce en 2004 !